On vient d’enlever nos masques dans les derniers endroits où ils étaient encore imposés. Voilà. C’est fini. La guerre est terminée. Et alors quoi ? Pas un mot. Pas de trompettes. Pas de défilé. Même pas un merci pour les petites gens qui ont porté ça sur leurs épaules. Même pas trois cacahuètes et une bouteille de crémant dans l’espace convivialité. Rien. Nada.
Tout le monde aime Goldman. Il est sympa, Goldman. Enfin, dire que tout le monde l’aime est sûrement un peu excessif, en tout cas personne ne déteste Goldman. Si ? Je me demande pourquoi on ressent cette sympathie pour lui. Au-delà de la reconnaissance bien méritée pour tous les tubes écrits dans les années 80/90, c’est sûrement parce qu’il a l’air humble et qu’il ne nous emmerde pas avec ses opinions.
Cette discrétion l’honore, mais au fond ne je suis pas certain qu’il soit si sympa que ça. Est-ce que cet air de je-veux-pas-vous-emmerder ne cacherait pas plus simplement un ne-m’emmerdez-pas misanthrope ? Le mec ne s’est même pas pointé à l’émission produite pour son anniversaire. Il a laissé les lèche-bottes en plan et ils ont chanté je te donne sans lui. Je n’ai pas trouvé ça très classe.
En attendant, Jean-Jacques, c’est le seul qui, en pleine pandémie, s’est dit qu’il fallait peut-être se fendre d’un petit merci pour ceux qui risquaient leur peau pour les autres. Ceux qui soignaient. Ceux qui livraient. Ceux qui faisaient respecter les mesures sanitaires. Ceux qui scannaient tes pâtes et ton papier-cul en caisse. Ou ceux qui ramassaient tes vilaines poubelles de confiné.
C’est vrai qu’il ne s’est pas cassé le truffinet en deux le JJ. Il nous a sorti un vieux bout de tube de derrière les fagots sur lequel il a collé des paroles assez pauvres qu’il a chantonnées d’une voix presque éteinte. Ça a donné ça : sauvent nos vies, sur l’air de il changeait la vie (il fallait y penser). Je suis d’accord avec vous, ce n’est pas terrible, c’est un peu dissonant, mais vous savez quoi ? C’est mieux que rien. C’est surtout mieux que le silence assourdissant de tous les autres.
Je ne sais pas pourquoi dans ce pays on ne sait pas dire merci. On ne sait pas sacraliser ces moments de grâce collective. On ne sait pas glorifier le sacrifice. Ah ça, pour chanter qu’on ne veut pas payer ses impôts ou qu’on veut se faire tirelipimpon, on est très forts. Mais pour une fois qu’on peut se payer une bonne séance de branlette générale, on est aux abonnés absents. C’est comme ça, faut faire avec. Ce n’est pas notre truc.
Pendant ce temps. Là-bas. Dans le continent sans grillage où tout est neuf et tout est sauvage, à l’ombre des tours suppliciées de Manhattan, Alicia Keys s’assoit à son piano et nous balance non pas une chanson, mais un hymne. Une déclaration d’amour au don de soi à te filer la chair de poule. La production ajoute un bout de discours qui remue les tripes, des photos de héros de la rue pour la vidéo. Et voilà. Ce n’est pas compliqué. C’est sain. C’est fédérateur. Ça marque le moment et les esprits. On peut railler le côté grandiloquent, on peut se moquer du patriotisme lyrique made in America. Ça aussi on sait bien faire, se payer la tronche des meilleurs que soi. Mais après l’ironie facile, il faut le reconnaître : le ricain a le sens de la cérémonie et on a des leçons à prendre.
Il est à peu près certain que nous allons faire l’impasse sur ces moments de reconnaissance et pourtant nous nous les devons. Parce que la peur et le pourquoi seront vite oubliés. Parce qu’il ne restera bientôt plus que de vagues souvenirs et les stigmates durables d’un enfermement subi. Tout ce que cette période sombre aura fait ressortir de grand et de beau chez nous autres humains, aura été nié par cette absence de célébration.
Aujourd’hui les non-essentiels que nous avons insultés en les désignant ainsi nous sourient avec le majeur tendu quand on leur demande de se remettre au boulot. Je suis pas essentiel ? Alors, tu sais quoi ? Sers-toi ta pizza et ton putain de café gourmand tout seul. Et demain, quand la prochaine crise pointera le bout de son nez, les essentiels te regarderont avec le même sourire et t’adresseront le même doigt à glisser où tu voudras. La dernière fois, tu as oublié le mot magique ? Alors, démerde-toi.
À tous ceux qui ont fait tourner la machine pour tous les autres en s’exposant au virus sans se poser de questions : merci ! Good Job !
Paul Reznyk – Président des oubliés.
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