Les zombies du lundi, tellement accros à leur week-end, sont si déçus de nous revoir et de nous subir. Ils sont là, partout, tout autour de nous. Prêts à nous cracher au visage leur désespoir de côtoyer, nous, leurs collègues imposés. Enfermés dans un cycle infernal, ils luttent pendant cinq jours pour pouvoir enfin savourer deux misérables journées d’un bonheur convenu et programmé.
Comme tous les matins, je fais mon entrée sous les hourras dans l’open space du personnel administratif.
— Ça va l’équipe ? Ça boume ?
Pour une fois… quelqu’un répond.
— Oh. Vous savez. Comme un lundi.
Putain. Qui a dit ça ?
Je scanne lentement la pièce et je tombe sur le regard vide d’Élodie.
Elle est en train de boire un thé dans son putain de mug à l’effigie de son clébard.
— C’est-à-dire ? Qu’entendez-vous par ce « comme un lundi » ?
— Le week-end c’est toujours trop court !
Cette dinde tout sourire est en train de me jouer Manic Monday ? Sérieux ?
— Vous passez le week-end avec ce beauf en claquettes et ces vilains gosses qui posent sur votre fond d’écran ?
— Heu oui. C’est ma famille. Je…
— Alors vraiment je ne vois pas en quoi votre putain de week-end pourrait être plus agréable que votre semaine ici en ma compagnie, même si vous ne me croisez ne serait-ce que vingt minutes par jour.
Je ne comprends pas. Chaque semaine, c’est le même cirque. L’insupportable comédie du « blues du lundi ». Les gens traînent les pieds au travail comme des condamnés à la potence, regrettant la fin de leur minable congé de fin de semaine.
Ce sont évidemment les mêmes feignasses qui s’empressent de chanter la gloire du vendredi soir, comme si la seule vie qui valait la peine d’être vécue se déroulait entre le samedi et le dimanche.
Je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’ils font de si exceptionnel pendant le week-end qui rend leur présence ici si insupportable pendant la semaine. Avec quel genre d’insatiables porn-stars partagent-ils leur temps libre ?
Ils sont bien loin les mensonges enthousiastes déballés sans scrupules pendant l’entretien d’embauche. Ah, ils étaient prêts à tout donner pour ce travail qu’ils ne supportent plus aujourd’hui. Où étaient ces jérémiades quand ils suppliaient qu’on les emploie, prêts à prendre en bouche toute l’équipe de direction pour une place dans la Boîte ?
Ces boulets devraient admettre qu’ils sont bien lotis vu ce qu’ils gagnent par rapport à leur maigre niveau de compétence et surtout d’implication. Ils ont la belle vie et ils le savent. Sauf s’ils commettent une faute suffisamment grave pour provoquer une catastrophe coûtant plusieurs vies humaines, ils ont l’assurance de pouvoir nourrir leur famille de parasites jusqu’à la fin des temps.
Et pourtant, ils sont encore là à nous casser les couilles en ayant l’air d’estimer qu’ils font une faveur au monde en traînant leur misérable carcasse au bureau.
— Pourquoi vous êtes aussi désagréable avec moi, Monsieur Reznyk ?
— Mais au contraire Élodie, je suis très gentil ! J’essaie de vous sauver.
— Je ne suis pas Élodie. Je suis Corinne. Élodie est décédée il y a six mois. Je l’ai remplacée…
— Justement Machine, ou qui que vous soyez. La vie est trop courte. Si vous ne supportez pas votre travail, trouvez quelque chose qui vous fera vibrer, quelque chose qui fera que chaque jour ressemblera à un dimanche. Ne passez pas cinq jours sur sept à attendre votre lamentable week-end comme une conne !
— Mais qu’est-ce que je vous ai fait ? Pourquoi vous me criez dessus comme ça ?
— Je n’ai rien de personnel contre vous Élodie. C’est à tous les professionnels de la pleurniche que je m’adresse.
Pourtant aucun des cloportes présents dans le grand bureau n’avait l’air de se sentir concerné. Tous faisaient mine d’être absorbés par une tâche dont tout le monde savait bien qu’ils n’en avaient absolument rien à foutre.
— J’ai une nouvelle pour vous les tire-au-cul ! Le prochain qui me sort ce pathétique « comme un lundi », je l’inviterai personnellement à dégager. Laissez votre place à quelqu’un qui appréciera ce boulot ou fera mieux semblant que vous. Le monde ne vous doit rien, la Boîte non plus.
Assis en face de Corinne, le jeune Mouloud se lève de son siège en retirant son gros casque audio de branleur obédience hipster.
— Oh salut Paul !
Apparemment, ce jeune trouduc découvre ma présence à l’instant.
— Qui veut un café ?
— Non merci Mouloud.
— Moi c’est Quentin.
— C’est ça ouais.
— Houla. La semaine va être longue on dirait ! Vivement vendredi !